Le kendo et le judo, sans parler du sumo, sont des arts martiaux nippons, qui permettent la pratique de l’affrontement réel, le combat, le randori et même le shiai ou le combat en compétition. Si dans le cadre de cette dernière, il est visé la victoire (le premier qui marque le point, le ippon ou qui accumule en fin de durée le plus d’avantages), dans le cadre du randori ce n’est pas le principal. Les enjeux d’emblée ne sont pas les mêmes,... et la pratique peut en être fortement modifiée, pas dans le meilleur des sens ! En aïkido certains parleront également de randori si même il y a une personne qui défend alors que plusieurs peuvent l’attaquer.
En judo, il existe différentes formes d’entraînement au combat, c’est-à-dire à la situation ou les rôles de tori (celui qui attaque) et d’uke (celui qui défend) ne sont pas attribués préalablement aux combattants. Par exemple, il y a l’entraînement seul, le tandoku renshu, là le partenaire ou l’adversaire est imaginé comme dans les kata de iaido. Mais il y a aussi l’uchi komi (la répétition avec un partenaire d’une technique sans chute), le sotai renshu (dans l’entraide avec uke tori répète un mouvement qui s’il est bien fait autorise la chute), le yaku soku geiko (uke et tori se déplacent cherchant les opportunités, l’anticipation, le contrôle, le bon mouvement), le kakari geiko (tori attaque sans retenue et uke se défend du mieux que possible).
Il existe de multiples formes d’entraînements mais nous nous consacrerons ici au randori et à un principe qui nous semble essentiel dans sa pratique. Car, il nous semble celui toujours à travailler et retravailler, toujours gestuellement perfectible qui permet toujours l’approfondissement de l’art par la manière. Sa visée est l’efficacité et la sobriété et la pureté (l’esprit du budo), c’est-à-dire le ippon par le beau geste. Ici on ne désolidarise pas la notion d’apprentissage à celle de la pratique dans la mesure où cette pratique est aussi une bonne voie pour l’apprentissage. Jigoro Kano disait du randori que c’était le judo.
L’approfondissement de sa pratique, peut devenir un exercice tout à fait propice à l’apprentissage du judo. Il faut l’envisager comme toujours un moment pour faire des progrès et de le pratiquer dans cette perspective. Il ne faut pas considérer l’exercice du randori comme uniquement un entraînement physique tourné vers le mêmes objectifs que ceux du shiai ou de la compétition, car il reste un exercice, justement pour apprendre. Si dans celui-ci il convient de viser et d’apprécier son efficacité en situation de combat, il est aussi l’exercice fondamental pour tester une variété de combinaisons et de formes de pratiques, et se faisant pour améliorer la sienne.
Le principe est celui du « mouvement dans le mouvement », Jigoro Kano parlait d’un principe plus large jita yuwa kyoei ou « la prospérité par sa propre force et la force de l’autre », qui peut l’englober puisqu’il ne s’applique pas uniquement au plan cinétique ou physique mais aussi au plan relationnel ou social, l’adversaire et aussi le partenaire nécessaire à l’entraînement et notamment au randori, à son apprentissage et perfectionnement. D’autres principes accompagnent celui-ci qui est fondateur, ils sont, le relâchement (« tarumu »), la mobilité, la fluidité, la non-résistance (« ju » ou encore la souplesse), l’accélération (« kaisoku », « kasokudo ») mais encore, la courbe unifiée des trajectoires des corps, la suppression des points d’appuis et le déplacement-placement du poids (centre de gravité), le déséquilibre, etc.
Si littéralement en japonais ran-dori peut se décomposer en ran qui veut dire désordre, chaos, et dori, venant de toru qui veut dire prendre, ou saisir, on pourrait alors traduire que cet exercice d’entraînement métaphoriquement signifie « prendre le désordre » comme « tenter de saisir le chaos », mais pratiquer le randori c’est au final tenter de maîtriser et d’annuler les assauts de son adversaire. Pour ce qui nous concerne, ici, comme dans de nombreux art martiaux, l’idéal de la maîtrise réside dans le fait de se couler dans le mouvement qu’il soit attaque ou défense de son adversaire pour ne faire plus qu’un seul mouvement allant dans une même direction, c’est là que le judo comme trop souvent on le définit n’est pas fondamentalement un « sport d’opposition » mais un art de la souplesse, « Mind over muscle » (ouvrage écrit par Jigoro Kano).
Concrètement, appliquer ou chercher à appliquer ce principe au cours et au cœur du randori est un exercice fondamental pour mettre à l’épreuve la forme des techniques (que l’on peut puiser dans la pratique des katas). Ainsi donc pour résumer si l’adversaire me tire pourquoi pas avancer dans sa direction et s’il me pousse pourquoi ne pas faire de même en reculant, c’est alors cette non-résistance et le relâchement qui l’accompagne qui peuvent ouvrir des opportunités dans l’attaque, dans toutes les directions de l’espace en trois dimensions. Il peut aussi nous tirer vers le bas et c’est alors à la remontée que tori déclenche son attaque venant se placer en bonne posture, sous le centre de gravité grosso modo marqué par le nœud de ceinture. Cette forme de travail suppose précisément de ne plus mettre, ce que l’on retrouve souvent, de la force dans les bras, mais aussi de se mettre dans une attitude qui consiste à accueillir le combat et non pas l’empêcher. Dans ce cas-là on va à l’inverse de l’esprit, ce que regrette Jean-Luc Rougé car en compétition souvent cette attitude n’est pas pénalisée.
Bref, utiliser le randori comme un exercice pour appliquer ce principe avec d’autres permettra toujours une progression à sa mesure respectant au passage son adversaire comme également un partenaire d’apprentissage.
Ainsi, ne faut-il pas à tout prix vouloir mettre l’adversaire dans la position qui convient à son idée de technique, surtout si c’est le contraignant par la force musculaire. Il convient de se déplacer et de se placer dans une posture adapter au déplacement de son adversaire. Il faut le conduire progressivement sans opposition (qui souvent le renseigne sur nos intentions) dans une position que l’on se sent capable d’exploiter ou mieux encore pouvoir appliquer une technique quelque soit son déplacement son mouvement pour l’entraîner dans le vide. Plus facile à dire et à écrire qu’à faire, et même en aïkido quand les rôles sont préalablement définis ! S’imposer la recherche de l’application de ce principe peut aller de paire avec, se fixer des consignes à soi-même, ou les partagées avec son partenaire. Celà peut être par exemple, en judo, ne travailler qu’en garde à gauche si l’on est droitier, n’appliquer que des techniques de balayage, ne jamais mettre la main dans le dos, rester droit sauf si on attaque immédiatement, ou encore chercher uniquement les mouvements d’épaules. Les combinaisons sont alors infinies.